( Le Dauphiné Libéré – 30 avril 1973 )
Hier matin, dimanche, la majeure partie de la communauté arménienne de Vienne a participé à une grande journée du souvenir. Pour commémorer le génocide du peuple arménien, le premier des temps modernes, une rue portant la date de cet immense massacre a été inaugurée dans le quartier d’Estressin. Mais avant cette cérémonie officielle, une messe fut célébrée en l’église de Saint André-le-Haut par le Père Hovsepian, de l’Eglise Apostolique Arménienne de Lyon, à la mémoire des 1 500 000 victimes; une foule de fidèles, emplissant l’église, s’associèrent aux prières du célébrant. A l’issue de cet office religieux, chacun se retrouva dans la cour de l’école de la rue de la Convention pour entendre les diverses allocutions qui allaient être prononcées.
M. Loussarévian, Président de l’Union Nationale Arménienne de Vienne, eut le plaisir d’accueillir MM. Louis Mermaz, Député-maire de Vienne; Domeyne, Conseiller général de l’Isère; le Commandant Roux, commandant d’Armes et du GT 505; le Capitaine Comeyras, commandant la Compagnie de Gendarmerie de Vienne, Conforto, Commissaire principal de police; les membres du Conseil municipal de Vienne; Donabédian, représentant M. Mermet, receveur des Finances; l’Abbé Ketchedjian, curé arménien de rite catholique; le Pasteur Helvadjian, vice-président du Comité d’érection du monument de Marseille; le Père Hovsepian, de l’Eglise apostolique arménienne de Lyon; les représentants des Unions nationales de la région Rhône- Alpes et Marseille, etc …
M. Loussarévian, dans une allocution empreinte d’une vive émotion, tint d’abord à remercier toutes les personnalités venues honorer de leur présence cette cérémonie. Il rappela l’histoire du peuple arménien et les mobiles invoqués par ceux qui contribuèrent au génocide, le premier du 20e siècle.
“Le tout est pièce à conviction irréfutable, démontrant qu’aujourd’hui les instances de la justice internationale ne peuvent appliquer les textes de la Convention de l’Assemblée Générale des Nations Unies relatifs au crime de génocide”, alors que le monde se déchirait dans un enfer de feu et de sang, le peuple arménien, injustement abandonné, se consumait dans les cendres de la civilisation. Il eut le bien triste privilège d’être la victime du premier génocide des temps modernes. M. Loussrévian tient à remercier très chaleureusement le Député-maire et son équipe municipale : “Votre présence à nos côtés nos nous honore et nous réconforte; nous la considérons comme un témoignage de sympathie à l’adresse de nos concitoyens et, ainsi, vous nous apportez la bienfaisante chaleur d’une précieuse marque de solidarité humaine. La décision prise par le conseil municipal d’inaugurer une rue dédiée à la mémoire de nos martyrs associe non seulement la ville de Vienne, mais encore atteste clairement que vous sanctionnez ce délit; cette prise de position vous honore”. Il rendit, en terminant, hommage à la France au sein de laquelle les Droits de l’Homme sont respectés et qui, aussi, est animatrice du courant humain à la sauvegarde des peuples.
M. Louis Mermaz, après avoir donné lecture d’une lettre de M. Jean Marcel s’excusant de ne pouvoir participer à la cérémonie, s’associa aux paroles de remerciements de M. Loussrévian. Il souligna l’importante communauté arménienne de Vienne qui a une part importante dans la vie de la cité : “Il est normal qu’une artère porte le nom de la date du génocide du peuple arménien”.
M. Mermaz continua : “Lorsque les représentants des la communauté arménienne de Vienne nous ont demandé de dédier une rue au terrible souvenir du 24 avril 1915, nous n’avons pas hésité un seul instant, car cet appel à la conscience universelle correspond à nos convictions morales”; puis il souligna : “Le 19e siècle a vu se développer la revendication du droite des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais, dans le même temps, nous avons assisté à la montée des impérialismes. L’un des plus redoutables fut celui de l’Empire ottoman qui voulut compenser, lors de la première guerre mondiale, ses déboires extérieurs par une politique intérieure totalitaire. Cette politique aboutit au génocide perpétré par les Turcs sur les Arméniens; le 24 avril 1915, 1 500 000 hommes, femmes et enfants allaient périr”.
M. Mermaz rendit ensuite hommage à la nationalité arménienne, au courage et à la ténacité de son peuple qui lutte pour que la justice lui soit rendue : “Le combat pour la liberté et la démocratie doit être celui de toute l’humanité”.
Quant au Pasteur Helvadjian, il évoqua l’érection du monument de Marseille à la mémoire du génocide. Il regretta le départ du consul de Turquie à Marseille pour Ankara pour marquer sa réprobation de la construction du monument : “Par ce geste, il semble que le gouvernement turc ne veuille pas reconnaître le génocide; en tant que chrétiens, nous voulons la justice, faire respecter notre passé et avoir le droit d’ouvrir le dossier du génocide. Je tiens à remercier le peuple de France et la population viennoise pour avoir respecté nos morts; vous tenez beaucoup de place dans le coeur des Arméniens”.
Alors que chacun se dirigeait vers la plaque de la rue du 24 avril 1915, qui allait être dévoilée, la pluie se mit à tomber; cette ondée ne freina pas l’enthousiasme de tous les présents qui applaudirent au geste de MM. Mermaz, le pasteur Helvadjian et Loussarévian, qui dévoilèrent la plaque.
Après une bénédiction oecuménique avec les représentants des trois églises et une prière arménienne en la mémoire des morts de ce terrible génocide, tous les participants se retrouvèrent au restaurant du Balcon où fut servi un vin d’honneur.