( A.M. – Le Dauphiné Libéré – 4 décembre 1990 )
Unis, les Arméniens le sont ! Comme toutes les diasporas, déracinés ou héritiers. Même si de l’un à l’autre, d’individu à individu, les sensibilités peuvent quelquefois varier, souvent se nuancer, l’essentiel reste cette “communion” autour d’une foi ou d’un idéal pour les uns, d’un amour ou d’une fidélité pour d’autres, d’une nostalgie pour la plupart. Bref, samedi soir, pour fêter les cent ans du “Dachnaktsoutioun” (ou de la Fédération Révolutionnaire Arménienne), la grande salle de la MCA était nettement trop petite …
D’autant que les tables avaient été dressées pour l’inévitable repas, et que deux invités prestigieux avaient répondu à l’invitation : Jules Mardirossian (membre du bureau mondial du Comité de Défense de la Cause Arménienne) et Claire Mouradian (historienne, écrivain, chercheur au CNRS Paris IV).
Si l’historienne et le politique devaient tout à tour évoquer la situation arménienne, chacun à travers le filtre de sa formation et de son “rôle”, ils n’en furent pas moins réduits pour autant à parler du même sujet, le seul qui intéressât l’auditoire: l’Arménie. L’un et l’autre revenant (à quelques semaines près) d’un voyage en Arménie, c’est à travers leurs récits qu’ils illustrèrent l’essentiel de leur propos.
De l’exposé de Jules Mardirossian, un observateur “étranger” retiendra surtout le caractère absolument vital de la question du “Haut Karabagh” et l’analyse de la situation politique locale qui aspire (ou devrait aspirer) au multipartisme.
De celui de Claire Mouradian, articulé autour de sons livre/thèse “De Staline à Gorbatchev, histoire d’une république soviétique : l’Arménie”. Un ouvrage de référence qui manquait, dans lequel Claire Mouradian a voulu étudier ces 70 années (de 1920 à 1990) qui ne sont qu’un “moment” dans les 3 000 ans d’histoire de l’Arménie. Sans négliger de poser des questions, notamment sur les 300 000 “absences” de la période stalinienne, ces personnes disparues et jamais retrouvées …
Bref, cette jeune scientifique fit un remarquable exposé, mais elle prit la précaution d’avouer qu’elle ne voulait pas tirer, à travers l’analyse historique, de conclusions pour l’avenir malgré son goût pour la phrase célèbre de Georges Orwell (1984) : “Qui contrôle le passé contrôle l’avenir“. Tout juste risqua-t-elle un pronostic : “Je ne crois pas que l’on fera l’économie du chaos”. On retiendra aussi de son intervention un scepticisme marqué quant à “la faiblesse” actuelle de l’URSS et à “l’angélisme” de “Gorby”.
On ne peut conclure cette soirée sans évoquer la dernière question posée par l’auditoire : “’Et le génocide … vous n’en avez pas parlé ?”. Preuve, s’il en était besoin, que les blessures sont souvent l’essentiel de la mémoire des peuples déracinés, qui n’oublient cependant pas leur plaisir de se retrouver.
Le “Et alors, on ne chante pas ?” lancé en fin de soirée par une dame déçue qu’on ait oublié ce “plaisir” était à cet égard fort significatif. On chantera à Lyon le 6 janvier, lui a-t-on répondu sans la consoler pour autant.