( Paul Cuchet – Le Dauphiné Libéré – 25 janvier 1987 )
C’est à l’initiative de la Maison de la Culture Arménienne, que préside M. Keloumgian, et de Vienne Action Culturelle, sous la direction de deux mélomanes avertis, MM. Pierre Domyene, président, et Jean Gueffier, adjoint aux affaires culturelles, auxquels il faut aussi ajouter le directeur du théâtre, M. Marc Guyamier, qu’a eu lieu vendredi soir le concert de l’Ensemble Orchestral de Provence.
La première partie, consacrée à Jean-Sébastien Bach, Benedetto Marcello et Antonio Vivaldi, fut l’occasion d’apprécier cet excellent ensemble formé, sous la baguette de Serge Paloyan, de professeurs des Conservatoires de Toulon et Aix-en-Provence, ainsi que des musiciens de l’Opéra de Marseille, et notamment des solistes de haut niveau : le hautboïste Alain Dinouard (concerto pour hautbois en do mineur de Marcello), la violoniste Marie Sirot (concerto pour violon en la mineur de JS Bach) et Daniel Paloyan, frère de Serge (concerto pour clarinette en la majeur de Vivaldi).
Mais, après l’entracte, le concert prenait une autre dimension, toute chargée d’émotion, puisque Serge Paloyan avait choisi de faire découvrir – ou redécouvrir – à ses compatriotes la musique de Komitas en réalisant arrangements et orchestration de quelques uns de ses chants et danses d’Arménie.
En effet, Soghomon Soghomonian, alias le Père Komitas, est véritablement “le maître et le serviteur” de la musique arménienne, puisqu’il a consacré une bonne partie de sa vie (avant le terrible génocide de 1915 qui eut raison de sa santé mentale) à répertorier et à retranscrire les morceaux de la tradition orale de la musique arménienne qui, sans lui, auraient vraisemblablement disparu totalement. Il a si bien réussi dans son entreprise, il a si bien su s’imprégner de la tradition musicale, en réalisant une osmose artistique qui tient de l’alchimie, qu’il est aujourd’hui difficile de faire la part des choses et de déterminer ce qui est dû à l’inspiration populaire et ce qui revient à son seul génie musical.
Ce concert-hommage constituait donc pour Serge Paloyan un double retour aux sources puisque, en célébrant la mémoire d’un musicien du pays de ses ancêtres, de la façon la plus talentueuse et la plus intelligente qui soit, c’est-à-dire en le faisant revivre par son art, il retrouvait sa ville natale où, avec ses deux frères, il fit des débuts musicaux dont chacun pressentait qu’ils n’étaient que l’aube d’une très brillante carrière.
Le public sut apprécier comme il se devait une aussi belle soirée musicale et, par ses rappels, donna à Serge Paloyan et à son orchestre l’occasion de célébrer deux autres compositeurs arméniens, l’un contemporain, Edouard Mirzoyan, l’autre bien connu, Aram Illitch Khatchadourian.
Le jeune chef expliqua que le thème musical du film “Charlotte for ever” était bien du compositeur arménien disparu en 1978, mas que Serge Gainsbourg avait omis de signaler qu’il avait fait cet emprunt.
Juste retour des choses, cet extrait des “tableaux pour une enfance” fut longuement ovationné par un public véritablement charmé et visiblement conquis.